Trachome vaincu, dossier à livrer: la Mauritanie face à un nouveau combat
Par Kelly Zongo et Kimberly Kamara

Image credit: Mauritania Ministry of Health
En 2000, près de 19 % des enfants mauritaniens étaient infectés par le trachome avant l’âge d’un an. Après des années d’efforts soutenus, le pays allait enfin éliminer cette maladie. Mais une dernière étape allait presque compromettre la reconnaissance mondiale de cet accomplissement historique : la documentation.
Pour éliminer le trachome (une infection de l’œil douloureuse pouvant entraîner une cécité irréversible), la Mauritanie a mis en place un vaste programme national. Pendant plusieurs années, les autorités ont mené des actions coordonnées : distribution de masse de médicaments, opérations chirurgicales pour soigner le trichiasis (la phase avancée de la maladie qui rend aveugle), amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Ces efforts doivent être poursuivis jusqu’à ce que le trachome ne soit plus considéré comme un problème de santé publique.
C’est à ce stade qu’un pays peut entamer la procédure de validation officielle de l’élimination. Ce statut est accordé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à l’issue d’un processus rigoureux de mesure, d’évaluation et de vérification. Obtenir cette validation revient à faire reconnaître officiellement, à l’échelle mondiale, le succès accompli.
Cette reconnaissance permet d’obtenir un nouveau statut. C’est également une preuve de leadership national et de responsabilité. D’ailleurs, cette validation permet aux pays de réorienter leurs ressources vers d’autres priorités de santé publique, tout en mettant en place des systèmes de surveillance efficaces pour éviter toute résurgence de la maladie. Sans validation officielle, les progrès durement acquis risquent de passer inaperçus, voire d’être remis en cause. Des opportunités d’investissement durable et de reconnaissance internationale pourraient alors être perdues. L’Organisation mondiale de la santé a officiellement validé, le 19 mai 2025, l’élimination du trachome en Mauritanie en tant que problème de santé publique.
« C’est une nouvelle preuve des progrès remarquables accomplis contre les maladies tropicales négligées, et un message d’espoir pour les nombreux pays qui luttent encore contre le trachome : eux aussi peuvent éliminer cette maladie », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS.
Depuis 2004, le programme national d’élimination du trachome en Mauritanie a permis d’administrer plus de 2,75 millions de traitements médicamenteux (dons généreux de Pfizer) et de réaliser plus de 1 350 interventions chirurgicales pour préserver la vue de personnes atteintes de trachome avancé. Parallèlement, le gouvernement mauritanien a investi dans des améliorations environnementales afin de renforcer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans les zones les plus touchées.
Fait important : la plupart des campagnes de distribution de médicaments et des interventions chirurgicales n’ont pas été financées par des bailleurs internationaux. Elles ont été soutenues par l’État mauritanien et la Banque Générale de Mauritanie via la Fondation Bouamatou. Cette capacité à mobiliser un capital philanthropique local pour initier la collaboration et les financements nécessaires dès le départ a accéléré les progrès du pays contre le trachome. Elle constitue aussi un gage de durabilité, bien au-delà de l’attention médiatique.
Des données au dossier : l’obstacle rencontré par la Mauritanie
Après plusieurs années de progrès constants, la Mauritanie devait franchir une nouvelle étape : collecter des données pour démontrer la baisse de la prévalence du trachome. L’END Fund a financé plusieurs enquêtes entre 2019 et 2021, qui ont montré que le pays avait atteint les seuils épidémiologiques requis pour obtenir la validation. Ces résultats ont constitué l’ossature de ce que l’OMS appelle le dossier d’élimination.
La rigueur nécessaire pour constituer un tel dossier est souvent sous-estimée. L’OMS exige une présentation complète, solide et vérifiable des données et des interventions mises en œuvre pour atteindre les objectifs d’élimination. Chaque chiffre, chaque graphique et chaque section doivent être parfaitement conformes à ses standards. Il ne suffit pas d’avoir agi : encore faut-il prouver les résultats de manière claire et crédible.
C’est pourquoi la validation de l’OMS est si importante : elle atteste à la fois des résultats sanitaires obtenus et de la qualité du travail documentaire, validés par l’un des processus d’examen les plus rigoureux en santé mondiale.
Pourtant, le dossier de la Mauritanie continuait d’être refusé. Non pas à cause d’un manque de données, mais en raison de problèmes de mise en forme et de structure. Il ne racontait pas clairement le succès du pays.
C’est à ce moment-là que l’END Fund est intervenu, en finançant l’appui d’un expert, le Dr Sidi Coulibaly, ainsi que de l’Organisation pour la Prévention de la Cécité (OPC), pour accompagner le ministère mauritanien de la Santé dans la révision du dossier selon les normes requises. Pour moins de 8 000 dollars, le document a été reformulé, correctement structuré, et accepté. La Mauritanie est ainsi devenue le 22ᵉ pays officiellement reconnu pour avoir éliminé le trachome en tant que problème de santé publique.

The END fund leveraged unrestricted investments from Mackenzie Scott and the Legatum Foundation to provide this nimble support to help Mauritania reach elimination of trachoma.
Le Dr Abdallahi Ould Minnih, coordinateur du programme de lutte contre la cécité au sein du ministère de la Santé, a collaboré étroitement avec le Dr Coulibaly à la préparation du dossier. Il décrit leur partenariat en des termes très élogieux :
« J’étais pessimiste quant à la capacité de la Mauritanie à mener ce dossier à bien, car nous ne disposions pas des compétences nécessaires. Heureusement, le Dr Coulibaly était là pour nous soutenir. Je lui rends hommage et, aujourd’hui, nous le considérons comme un citoyen d’honneur de la Mauritanie. »
« Ne négligez aucune donnée »
« Le conseil que je donnerais aux autres pays, c’est de commencer à préparer le terrain pour le dossier le plus tôt possible », déclare le Dr Minnih. « Il faut étudier les exigences de l’OMS et s’inspirer des dossiers des pays ayant déjà obtenu la validation. »
Il souligne aussi l’importance de réunir les bonnes compétences : « Les pays devraient demander à leur ministère de la Santé de mettre en place une équipe pluridisciplinaire, avec des personnes capables de produire les cartes, tableaux et fichiers nécessaires. Ce n’est pas un travail réservé aux médecins ou aux professionnels de santé. C’est tout un collectif qu’il faut mobiliser. »
« L’idéal, c’est de constituer une équipe ou un comité », confirme le Dr Coulibaly. « Il doit être multisectoriel, et chacun doit y jouer son rôle. »
« Mon autre recommandation, c’est de ne négliger aucune donnée », ajoute le Dr Minnih. Le Dr Coulibaly précise : « Le dossier d’élimination doit remonter aux premières actions de lutte contre le trachome, et en dresser l’historique. » Il est essentiel de collecter et d’analyser l’ensemble des données liées au programme, du début à la fin, afin de démontrer la baisse de la prévalence. Il faut ensuite intégrer dans le dossier les données les plus pertinentes pour raconter efficacement le parcours vers l’élimination.
Le Dr Minnih insiste également sur l’importance de la collaboration intersectorielle pour rassembler ces informations. Le dossier d’élimination doit décrire en détail les conditions du pays en matière d’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène (WASH), ainsi que les efforts d’intégration de ces améliorations aux programmes de lutte contre la maladie. Pour cela, le ministère mauritanien de la Santé s’est appuyé sur d’autres ministères clés, qui ont permis d’intégrer des données essentielles sur la couverture WASH dans le dossier.
Et maintenant ?
Le Dr Minnih souligne que le travail du programme d’élimination du trachome est loin d’être terminé. « Nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers : sinon, tout ce que nous avons accompli jusqu’ici risque de s’effondrer. » La Mauritanie entre désormais dans la phase de surveillance post-élimination, au cours de laquelle il s’agira de détecter et de répondre rapidement à tout signe de réémergence de la maladie. Un atelier est d’ailleurs prévu pour lancer cette nouvelle étape. « C’est le moment de consolider nos acquis : par la surveillance épidémiologique, la formation du personnel des centres de santé, la sensibilisation et l’éducation à la santé. Le travail ne fait que commencer. »
Il rappelle également que l’engagement politique soutenu nécessaire pour atteindre l’élimination ne doit pas être sous-estimé. « En fin de compte, c’est la volonté de ce pays qui a permis d’éliminer le trachome. Le gouvernement mauritanien a joué un rôle moteur dans l’obtention de ces résultats. »
Le parcours de la Mauritanie nous rappelle qu’au moment décisif, la validation de l’élimination ne se limite pas à un tampon sur un dossier. Elle consacre la résilience, la détermination et l’engagement nécessaires pour atteindre un tel objectif.